L’amateur d’histoires
Il s’empare de thèmes historiques et s’en amuse volontiers, dans des petits livres auto-édités ou dans des fresques façon BD. Nayel Zeaiter, un graphiste maître du jeu de pistes.
En travaux jusqu’en 2025, le Grand Palais s’est entouré d’une frise-palissade racontant la vie du bâtiment depuis sa construction entre 1898 et 1900 jusqu’à aujourd’hui. On y apprend que l’édifice, conçu pour être « solide, durable et monumental », a été incendié lors de la Libération de Paris, ou qu’une exposition de 1972, patronnée par le président Pompidou, y a été perturbée par un « Front des artistes plasticiens ». Ce récit passionnant, imprimé sur six cents panneaux de bois, offre une bonne cinquantaine de minutes de lecture-promenade. Il a été conçu par un artiste de 34 ans, Nayel Zeaiter, qui se dit « peintre d’histoire ». Sans se prétendre historien, mais plutôt « amateur éclairé », il a lui-même rassemblé la documentation pour la transposer en textes et en images. L’oeuvre, commandée par le Grand Palais, lui a demandé un an et demi de travail.
Installé dans un atelier du 20e arrondissement de Paris, au fond d’une allée au calme presque campagnard, ce Français aux origines libanaises par son père a étudié l’histoire de l’art, appris la gravure, puis s’est inscrit à l’École des arts décoratifs, section Image imprimée. Dès son projet de diplôme, en 2014, il cherche à maîtriser à la fois le dessin, la narration, la typographie, la mise en page et les techniques éditoriales. Il crée même une micro-maison d’édition, les éditions Comprendre.
Ce grand brun au ton sérieux et à l’œil pétillant s’amuse beaucoup. S’inspirant de la façon dont on navigue sur Internet et des modes d’emploi en ligne, il invente une manière de raconter le réel à l’aide de cases façon BD reliées par des flèches. Il s’empare aussi de l’imagerie rassurante des manuels scolaires de la IIIe République, avec leur présentation didactique, leur « culte des grands hommes » et leurs cartes explicatives. Il les imite pour raconter l’histoire à sa façon, tel un Stéphane Bern ou un Lorànt Deutsch. Il s’est même rendu au Puy-du-Fou par curiosité, mais, loin d’idéaliser le roman national, il cherche au contraire à apporter un contrepoint en dépeignant souvent « des moments très négatifs », comme le massacre de la Saint-Barthélemy ou les émeutes de février 1934. Avec ce style très personnel, à l’esthétique « jouant l’objectivité » mais au contenu impertinent, il a ainsi signé en 2018 une Histoire de France en 100 planches illustrées (éd. La Martinière). Il publie par ailleurs de petits livres autoédités aux sujets insolites : une Histoire du vandalisme illustrée, adaptée d’une exposition au Palais de Tokyo en 2019, qui commence par la prise de la Bastille et se termine sur un rond-point occupé par les Gilets jaunes ; ou une étude de la façon dont l’extrême gauche et l’extrême droite commémorent le décès de leurs militants.
Même quand cet inclassable expérimentateur peint, on ne sait jamais trop où s’arrête l’aspect documentaire et où commence le décalage. Il a ainsi signé un portrait en pied, Le général de Gaulle décide l’exécution de Robert Brasillach. La scène se passe en janvier 1945. Dans son bureau de l’Hôtel de Brienne, le chef du gouvernement provisoire, debout, vient de refuser la grâce de l’écrivain collaborationniste. Le résultat ressemble à une peinture officielle, sauf que, bien sûr, ce n’est pas le cas.
En mélangeant son propre travail à des commandes qu’il accepte volontiers, Nayel Zeaiter parvient à gagner correctement sa vie sans dépendre du marché de l’art. Il contribue aussi à faire sortir la création dans la rue et à vulgariser le savoir. Une démarche généreuse •