Texte d'Arnaud Label-Rojoux pour le 60e salon de Montrouge
Temps retrouvé ? C’est sans doute parce que j’ai beaucoup fréquenté dans mon enfance les encyclopédies en images, les manuels d’histoire pieusement illustrés, les brochures éducatives aux vignettes didactiques, que mon œil s’est immédiatement trouvé aimanté par les planches dessinées de Nayel Zeaiter. L’attrait venait, à n’en pas douter, du graphisme familier. Mais pas seulement : si les planches semblaient en résonance avec ces publications à coloration pédagogique, je n’en comprenais pas la nature réelle. Enrôlant la nostalgie d’une iconographie faisant de toute évidence référence à des faits mal connus ou improbables, leur finalité m’intriguait. Je mesurais, bien sûr, la part d’ironie, contenue dans le choix des événements et des figures convoquées, ironie encore soulignée par l’intitulé regroupant l’ensemble des travaux, Comprendre, associé à un logo figurant une mappemonde stylisée, mais peinais à y trouver d’emblée un projet critique.
L’histoire, surtout si elle est nationale, inspire les légendes et les mythes. Elle se simplifie dans les faits dès lors qu’elle se raconte. Ses héros font figure de stars ! C’est ce qu’a assimilé très tôt le cinéma, et plus récemment les médias contemporains, au premier rang desquels la télévision grande pourvoyeuse d’historiomanie populaire : la vulgarisation historique, si elle a le mérite d’ouvrir pour chacun un pan mémoriel (ou d’éveiller la curiosité), n’est évidemment pas, on le sait, exempte d’arrière-pensées idéologiques. En être conscient ne change rien. Proust le disait déjà : « On lit les journaux comme on aime, un bandeau sur les yeux. On ne cherche pas à comprendre les faits. » En déplaçant subtilement l’imagerie (prémédiatique) propre aux récits historiques sur ce qui apparaît comme des pages de journaux à l’idéal format d’affiches pour présentations murales, Nayel Zeaiter semble porter un jugement comparable à celui de Proust sur la presse écrite : l’œil du lecteur, de toute façon, surfera. Inutile pour lui de chercher à déchiffrer : il suivra le guide. Car désormais, depuis qu’Internet est entré dans nos vies, l’image et le texte, même statiques, bougent. La flèche conduit l’épopée, qu’elle s’appuie sur un événement « capital » ou sur un fait divers. La mise en page adoptée par Nayel Zeaiter est de ce point de vue implacable au service d’un propos volontairement plat, à mi-chemin entre la feuille de chou locale illustrée par un Pierre La Police dont la cocasserie serait de ne pas être cocasse, et le schéma de montage d’un mobilier en kit. Il serait superflu que Nayel Zeaiter en rajoute ; on a en effet « compris », comme il nous y invite : l’idiot ne regarde pas la lune mais le doigt qui la montre ! Sans avoir l’air d’y toucher, Nayel Zeaiter, par son graphisme scrupuleux et un commentaire à l’objectivité feinte émaillé d’expressions parlées (« il paraît que… » ; « comme si de rien n’était »), pointe avec ses affiches qualifiées de « didactiques » la passivité probable du regardeur/lecteur. Il impose par ailleurs l’idée que le résumé est une censure qui ne dit pas son nom ou à tout le moins s’apparente à un trucage. Leur intitulé Comprendre doit s’entendre ainsi : il y a chaque fois fable. À chacun d’en tirer, comme le corbeau de La Fontaine, la morale « qu’on ne l’y prendra plus ».